Ensemble Vocal de Pontoise Direction Graham O'Reilly

Pianto della Madonna (avril 2017)

Mater dolorosa à Pontoise et Ermont

 

Deux lieux de recueillement pour nos concerts de printemps, en cette année 2017…

  • l’église Notre Dame de Pontoise, que nous connaissons bien et que nous apprécions
  • l’église St Flaive d’Ermont, plus moderne et atypique dans sa construction avec une partie XIXe et une autre, latérale qui date de 1965; c’est dans la partie plus ancienne qu’a lieu le concert.

Notre chef Grahm O’Reilly a voulu un programme exclusivement italien… Avec un intru, cependant, un compositeur portugais mais qui a, lui aussi étudié la musique en Italie pour ramener son expérience à Lisbonne où il deviendra maître de chapelle.

Mais qui sont donc ces compositeurs qui ont honoré de leur musique cette Madonna ?

 

Andrea Gabrieli (c.1533-1585)

Il débuta sa carrière sous la direction d'Adrien Willaert à la basilique Saint-Marc. Il tente à l'époque d'obtenir le poste d'organiste vacant mais n'y parvient pas. Il voyage alors en Allemagne où il rencontre Roland de Lassus qui l'influencera durablement. De retour à Rome, il obtient enfin le poste d'organiste convoité en 1566 et devient dès lors un pédagogue reconnu. Il forme notamment son neveu Giovanni Gabrieli.
Une Intonatio (à l'image de celle de ce programme) est une pièce introductive. Elle permet de faire entendre le ton (c'est-à-dire la gamme, sa couleur et ses caractéristiques) dans lequel va être chanté la pièce suivante.

 

Claudio Monteverdi (1567-1663)

Considéré comme un des créateurs du genre de l'opéra, comme le dernier et le plus grand représentant de l'école italienne du madrigal, comme un compositeur incontournable tant pour la musique profane que sacrée, il est difficile d'écrire sur Claudio Monteverdi sans utiliser de terme laudatif. Son influence sur la musique européenne est immense et la moindre pièce perdue de sa plume est une perte considérable pour ceux qui s'intéressent à la musique de cette époque. Or, c'est bien d'une œuvre perdue dont il s'agit ici. Il Pianto della Madonna (extrait du Selva Morale e Spirituale de 1640) est le seul passage ayant survécu à l'opéra L'Arianna, composé en 1608. Que l'on ne s'étonne pas de la dissemblance des deux sujets, l'un profane et l'autre sacré: qu'il s'agisse de lamento d'Arianna ou des pleurs de la Madone, c'est bien de déploration dont il s'agit. Monteverdi, comme bien d'autres avant lui, utilise ainsi la technique du contrafactum, c'est-à-dire la substitution d'un texte par un autre sans changement majeur de la musique.
On notera que Monteverdi avait déjà arrangé ce lamento (avec son texte original) pour en faire une série de 4 madrigaux à 5 voix (VIe livre édité en 1614), preuve qu'il en était particulièrement fier.
C'est à un jeu un peu particulier que nous nous prêtons aujourd'hui. Vous entendrez Il Pianto della Madonna dans sa version originale, pour voix seule et basse continue. S'intercalerons entre ces solos les madrigaux mais avec le texte sacré à la place du texte profane.

 

Giovanni Maria Radino (?-1607): Pass'e Mezo

On en sait peu sur ce compositeur et organiste italien. Il passe la première partie de sa carrière dans la Carinthie (actuelle Autriche) au service du comte de Frankenbourg, puis tente d'obtenir le poste d'organiste de la chapelle SaintAntoine à Padoue, sans succès en 1579, mais devient organiste de Saint Jean de cette même ville, poste qu'il gardera certainement jusqu'à la fin de sa vie.
Son opus le plus important est son Primo libro d’intavolatura d’arpicordo, un recueil de danses pour clavecin également arrangé pour le luth. Il est un jalon essentiel de la musique de dance en Italie.
Le Passamezzo est une danse de rythme binaire, proche de la pavane mais plus rapide.

 

Antonio Lotti (1667-1740)

Héritier de la tradition musicale vénitienne, puis professeur recherché dans cette même ville, il eut le parcours professionnel d'un très grand compositeur officiel de l'église catholique romaine. Organiste puis maître de chapelle à Saint-Marc, il eut la charge de la Cappella Marciana, c'est-à-dire le chœur de Saint-Marc de Venise, sans doute le meilleur d'Italie avec celui de la Chapelle Sixtine, celui-là même qu'eurent à leur disposition Monteverdi, Gabrieli, ou Legrenzi (le professeur de Lotti).
Si la musique profane de Lotti est bel et bien tournée vers le classicisme naissant, sa musique sacrée est quant à elle véritablement ancrée dans un style contrapuntique «post-palestrinien». Lotti, comme ses collègues vénitiens et malgré l'importance grandissante de la musique instrumentale, privilégie les voix, les lignes vocales douces, les effets d'empilements vocaux. Les deux Crucifixus présentés ici, d'une construction similaire, ne font pas exception à la règle. Ils font un usage abondant de chromatismes *et de retards*.
N'oublions pas cependant que ces deux Crucifixus sont chacun extraits de leur credo respectif. La popularité de ce passage particulier vient de la publication du Crucifixus a 8 sans le reste du credo dans une anthologie allemande de musique sacrée en 1838.

 

Alessandro Della Ciaia (c.1605-c.1670)

Issu de la noblesse de Sienne, Alessandro Della Ciaia a la particularité de n'avoir composé de la musique qu'en tant qu'amateur au sens le plus noble du terme. Il n'était en effet à la solde d'aucun membre du clergé où d'un mécène exigeant, le lot de tout compositeur de l'époque. Il nous laisse 3 opus publiés: des madrigaux (1636), des lamentations et motets pour voix seule et continuo (1650) et les «sacri modulatus» en 1666, de deux à 9 voix, d'où est tirée l'œuvre de ce concert.
Le texte des Lamentations de la Vierge, où Marie exprime des émotions extrêmement contrastées, permet à Della Ciaia de développer un langage musical presqu'entièrement tourné vers l'affect. On relèvera d'une part des tournures harmoniques au moins originales, sinon dénotant un certain goût pour le bizarre (un goût de l'étrange que développera un autre noble compositeur de la génération précédente: Carlo Gesualdo). D'autre part, le compositeur use de nombreux figuralismes (des illustrations musicales des mots), en particulier dans le discours mélodique de la Vierge. Le traitement de ce dernier est une signature musicale de ce compositeur «dilettante», avec ses retards*, ses anticipations*, ses chromatismes*, le tout sur une basse continue aux enchaînements harmoniques très osés.
Ces Lamentations ne consistent pas véritablement en un dialogue mais plutôt en une lamentation «augmentée» par les commentaires des anges, personnifiés par le chœur. Ainsi, il peut se voir comme une prolongation du Stabat Mater. Si la première partie de l'œuvre fait entendre les anges et la Vierge en alternance, la pièce finale est une sorte d'apothéose de plaintes, où l'ensemble des protagonistes mêlent leurs pleurs, invitant le monde à en faire de même.

 

João Rodrigues Esteves (c.1700 – c.1751)

 

Le Portugal du début du XVIIIe siècle bénéficie d'un contexte tout à fait favorable au développement des arts. Sous le règne de João V (1706-1750), l'or et les diamants du brésil font la richesse de la cour, qui vit dans le luxe et le gaspillage pour des fêtes toujours plus exubérantes. Les services religieux ne font pas exception, et il faut une musique à cette mesure.

Mieux, il faut faire aussi bien, voire mieux qu'en Italie et en particulier à Rome. On repère donc

les talents locaux pour leur donner la meilleure formation. Esteves, élève du séminaire de Lisbonne est pensionné pour aller étudier à Rome de 1719 à 1726. Il y étudie avec Ottavio Pitoni et s'imprègne de la manière italienne. De retour à Lisbonne, il devient maître de chapelle à la basilique Santa Maria qui, selon les souhaits du roi, doit rivaliser avec la basilique Saint Pierre de

Rome.

Il n'est donc pas déplacé d'inclure dans ce programme exclusivement italien la musique d'un Portugais. Formé en Italie à la manière italienne, Esteves compose selon la technique des cori spezzatti, c'est-à-dire de chœurs « éclatés ». Le Miserere de ce concert, composé en 1737, comporte 3 chœurs à 4 voix qui chantent soit en se superposant, soit en alternance. Cette technique permet non seulement une spatialisation du son (les chœurs pouvant être placés à des endroits différents de l'édifice) mais également une variété dans sa densité.

 

Glossaire :


Chromatisme : (ou mouvement chromatique) Un mouvement chromatique est un mouvement mélodique qui passe par tous les demi-tons de la gamme, et donc par la plus petite distance
entre chaque note. Le mouvement chromatique est le plus souvent générateur de tension.


Retard : Une note de l'accord est prolongée (retardée) jusqu'à l'accord suivant auquel elle n'appartient pas. Ce procédé créé donc une dissonance.


Anticipation : Il s'agit en quelque sorte de l'inverse du retard. Au lieu de prolonger une note, on
« anticipe » sa venue. Une note de l'accord qui suit fait dissonance sur l'accord qui précède.

 

Programme et choristes de ce concert :