Un concert d’hiver des plus exceptionnel au Carmel de Pontoise !
Nous apprécions particulièrement la Chapelle du Carmel de Pontoise, cet endroit chaleureux et authentique et nous remercions nos hôtesses, les soeurs carmélites, de nous accorder leur confiance chaque année.
En ce mois de janvier 2023, était au programme de ce concert, une grande première pour la ville de Pontoise : la « Missa Regalis » de Francisco Valls, redécouverte récemment et encore jamais interprétée en France !
Cette dernière oeuvre de son répertoire écrite en 1740 et dédiée au roi João V du Portugal, brille à la fois par sa grande sobriété (cultivée alors à la chapelle royale de Lisbonne comme au Vatican) mais aussi par ses harmonies particulièrement colorées.
Notre chef de choeur et musicologue Graham O’Reilly vous a emmené dans cet univers ibérique en complétant ce programme par des oeuvres sacrées de ses contemporains (Cereols, Rebelo, Melgas…).
L’Ensemble Vocal de Pontoise était, pour l’occasion, accompagné par une basse continue bien fournie et typiquement ibérique, elle aussi : orgue, violone et harpe triple.
Une ambiance chaleureuse pour un concert résolument inédit !
Le Chant du Cygne de Francesc Valls…
« Messe Royale, écrite pour cinq voix [suivant les vraies] bases de musique.
Dédiée au plus serein João V, roi de Portugal, par l'auteur lui-même
de grande réputation, le Père Francisco Valls, prêtre et maitre de la
Schola de l'église sacrée de Barcelone,
dans l'année jubilé de 1740.
Construite dans le mode Ionien.
Ainsi chante le cygne presque septuagénaire. »
Francisco (en Catalan Francesc) Valls est né vers 1671, peut-être à Valencia. En 1688 il est nommé maestro de capilla à la cathédrale de Gerona, et en 1696 il devient maestro à la cathédrale de Barcelona, titre qui lui sera accordé à perpétuité en 1709. En 1719, pour des raisons inconnues mais peut-être politiques, il se trouve suspendu de son poste, qu'il ne reprendra qu'en 1725. Il y reste jusqu'à 1741, travaillant peut-être avec des assistants et des collègues. Il meurt en 1747.
Compositeur fécond (636 oeuvres figuraient dans l'inventaire de 1726 de ses manuscrits dans la bibliothèque de la cathédrale de Barcelona), et également réputé comme théoricien de musique, c'est pour sa Missa Scala Aretina (1702) qu'il est aujourd'hui le plus connu. OEuvre grandiose et véritablement « baroque », son nom vient de sa structure qui utilise comme thème la gamme codifiée par Guido d'Arezzo vers 1030, qui a aussi donné la portée sur laquelle la musique est écrite aujourd’hui. La scala aretina est simplement constituée des six premières notes d'une gamme de do majeur : do ré mi fa sol la. Valls utilise cette gamme comme thème pour unifier les différents mouvements de la messe. Or, elle est aujourd’hui surtout connue pour avoir provoqué une gigantesque polémique entre plus de cinquante de ses contemporains sur un procédé harmonique jugé trop audacieux par certains.
La Missa Regalis est la dernière oeuvre du compositeur – son chant du cygne –, comme l’indique la page titre de l’autographe. A la fin de sa vie, il revient à la gamme de Guido –la Scala Aretina –. Cette fois il met de côté la splendeur des trois choeurs, cordes et trompettes qu'on trouve dans la messe de ce nom. Peut-être voulait-il accorder davantage d’attention à l’essentiel musical, mais ce n’est pas la seule raison.
L'oeuvre est dédiée au roi de Portugal João V, sans doute pour des raisons personnelles (il est probable que le compositeur ait passé quelque temps au Portugal avec un de ses anciens élèves durant la période 1719-25). Le roi, très croyant, passa son règne à être reconnu comme « monarque chrétien légitime » par le Vatican, ce qu’il obtint avec l’avènement du pape Benoît XIV en 1740. C'est sans doute la raison du « Jubilé » mentionné sur la page titre. Et à cette fin, João avait depuis longtemps banni tous les instruments de sa chapelle royale à Lisbonne (hormis ceux nécessaires à la basse continue), pour adopter des pratiques musicales et rituelles aussi proches que possible de celles du Vatican. Il est donc logique non seulement que l'effectif de la Missa Regalis soit conforme aux usages de la chapelle royale portugaise, mais aussi qu’elle s’appuie sur des « rudimentæ musicæ » anciens.
Valls se sent obligé de nous montrer ses « rudiments » sur la page titre. On voit la gamme de six notes de la Scala Aretina (transposée un ton plus haut, donc en ré), ainsi que deux variations : la même gamme avec tierces interposées, puis une autre avec quartes interposées. Valls utilise ces trois possibilités aux différents moments de la messe. Par exemple, les trois sections du Kyrie (Kyrie ; Christe ; Kyrie) les explorent les unes après les autres – aussi bien en mode descendant qu’en mode ascendant. Dans le Sanctus les trois formes sont combinées, ascendantes et descendantes, et dans des valeurs de note différentes. C'est un tour de force de maîtrise contrapuntique. De plus, Valls n’hésite pas à utiliser les harmonies très colorées, voire audacieuses, qui sont sa marque de fabrique. On les retrouve notamment dans les mouvements lents, « qui tollis peccata mundi » dans le Gloria, et « et incarnatus » dans le Credo.
Il passe la majeure partie de ses vingt dernières années à écrire son traité théorique Mapa Armónico Práctico, ouvrage le plus important du genre produit en l’Espagne au XVIIIème siècle, illustré de nombreux exemples musicaux. Nous en donnons deux ce soir : O sacrum convivium à huit voix, un motet pour l'élévation qui remplace le Benedictus de la messe (usage courant en Espagne et au Vatican), et Beatam me dicent, un motet pour la Vierge à douze voix (un coro favorito et deux cori ripieni). Dans un autre registre, un autre motet pour la Vierge, mais à quatre voix seulement : Tota pulchra es. Intime et recueilli son rythme ternaire rappelle une sarabande rapide.
Et d’autres œuvres de ses compatriotes Ibériques…
Les autres oeuvres de ce programme ont toutes un lien avec Valls et la messe. Joan Cererols (1618-1676) était Catalan, né à Martorell. Il passe toute sa vie dans l'Escolania (maîtrise) du monastère de Montserrat, près de Barcelona, d'abord comme garçon de choeur, puis à partir de 1636 comme novice, puis moine. Organiste, joueur de harpe, de violon et de violone, il participe pleinement à la vie musicale du monastère, sous la direction du mestre di capilla Joan Marc. Ce n'est qu'à la mort de ce dernier en 1658 qu'il est lui-même nommé mestre, poste qu'il occupera jusqu'à sa mort.
Il fut tenu en si haute estime à Montserrat que pendant quelques années un répons fut chanté en son honneur à l’occasion de l’anniversaire de sa mort – un hommage unique dans l’histoire du monastère. La plupart de ses oeuvres sacrées sont pour double choeur, comme cette antienne à la Vierge Alma Redemptoris mater, et montrent un savant mélange d'exposition polyphonique et de passages bien rythmés en homophonie.
João V, roi de Portugal, dédicataire de la Missa Regalis, était le fils ainé de João IV, réputé pour avoir possédé la plus grande bibliothèque musicale d'Europe. Son compositeur préféré était João Lourenço Rebelo (1610-1661) avec qui, jeune homme, il avait appris la musique à la Vila Viçosa, siège familial de la famille royale, les Bragança, et avec qui il entretint une relation profonde tout au long de sa vie. Compositeur, comme Valls, d'oeuvres grandioses pour plusieurs choeurs, Rebelo a également su utiliser des harmonies retentissantes et colorées pour mettre en valeur des textes sacrés, comme dans l'hymne à sept voix Panis angelicus.
Comme Cererols, Diogo Dias Melgás (1638-1700) passe toute sa carrière au même endroit : à la cathédrale d'Evora dans l'Alentejo au Portugal, commençant comme garçon de choeur et terminant comme mestre de capela. Il n’écrivait que de la musique sacrée, et ses motets à quatre voix sont de petites perles de communication, extrêmement sensibles au texte. Il a été le premier compositeur d’Evora à utiliser des lignes de mesure dans les oeuvres polyphoniques, à privilégier la direction harmonique aux prouesses contrapuntiques et à fournir des parties instrumentales indépendantes pour la harpe, l'orgue et la basse continue.
Envie d’entendre Graham vous donner quelques explications?
À chaque concert désormais, notre chef vous offre une « mise en bouche » à déguster sans modération…
Les Artistes qui nous accompagnent pour ce concert
Trois musiciens de talent à nos côtés pour ce concert hivernal…
Tout d’abord, quelqu’un que vous connaissez bien puisqu’il s’agit de notre fidèle organiste Yannick Varlet, à l’orgue positif.
Aux dulciane et cornet à bouquin, Krzysztof Lewandowski vous fera entendre ces instruments, ancêtres de nos instruments à vent modernes.
Et à la harpe espagnole, Jennifer Vera Martinez, virtuose de plusieurs instruments à cordes.
Les choristes et le programme de ce concert :